perdre

6e édition

PERDRE.

v. a. Conjugaison : (Je perds, tu perds, il perd ; nous perdons, vous perdez, ils perdent. Je perdais. Je perdis. Je perdrai. Je perdrais. Perds. Que je perde. Que je perdisse, etc. Perdant. Perdu.)
■  Être privé de quelque chose qu’on avait, dont on était en possession. Perdre son bien. Perdre sa place. C’est un homme qui n’a rien à perdre. Ce prince perdit ses États, perdit la couronne avec la vie. Lorsque les chrétiens perdirent Constantinople. Les ennemis perdirent leurs meilleures troupes dans cette bataille. Perdre sa bourse. Perdre son argent au jeu. Il perd tout ce qu’il joue.
Prov., Vous ne perdrez rien pour attendre, Votre payement, pour être retardé, n’en est pas moins assuré. Il se dit, par extension, Pour exprimer que le retard apporté à quelque chose n’est pas un préjudice, et peut même être un avantage. On tarde à vous placer, mais vous ne perdrez rien pour avoir attendu.
Perdre, signifie aussi, Être privé, par la mort ou autrement, d’une personne qu’on aimait, qu’on a sujet de regretter. Ce père a perdu depuis peu trois de ses enfants. Il a perdu son père et sa mère. Il vient de perdre une sœur qu’il aimait beaucoup. Il est cruel de perdre ainsi tous ses amis l’un après l’autre. Notre servante s’est mariée, et nous a quittés ; nous avons perdu là un excellent domestique.
Il signifie encore, Être privé de quelque partie de soi, subir la perte ou la diminution sensible de quelque faculté, de quelque avantage physique ou moral que l’on possédait. Perdre un bras, une jambe, un doigt. Perdre du sang. Perdre son sang. Perdre la santé. Perdre ses forces. Perdre la vue. Perdre les yeux à force de lire. Perdre la connaissance. Perdre connaissance. Perdre toute connaissance. Perdre la raison, l’esprit, le jugement. Perdre la mémoire. Perdre le repos, le sommeil, l’appétit. Perdre son embonpoint, sa fraîcheur. Perdre sa gaîté, son égalité d’humeur. Perdre le courage. Perdre courage. Perdre l’usage de ses sens. Perdre la grâce de Dieu. Perdre les bonnes grâces, l’estime, la bienveillance, la faveur, la confiance de quelqu’un. Perdre sa réputation, son crédit, son honneur. Perdre de son crédit, de sa réputation. Perdre son emploi, ses dignités, ses honneurs.
Perdre la vie, Mourir.
Perdre la parole, l’usage de la parole, Ne plus pouvoir parler. Le malade a perdu la parole depuis vingt-quatre heures. Il signifie aussi, Devenir muet de surprise, de crainte, etc.
Perdre haleine, l’haleine, perdre la respiration, Manquer de respiration.
Perdre la tête, Avoir la tête coupée. Il a été condamné à perdre la tête.
Fig., Perdre la tête, Devenir fou. Il signifie aussi, Ne savoir plus où l’on en est. J’ai tant d’embarras, tant de chagrins, que j’en perds la tête. On dit, dans un sens analogue, Ma tête se perd, je m’égare.
Fam., Il en perd le boire et le manger, se dit D’un homme tellement appliqué à quelque travail, qu’il semble négliger toute autre chose. On le dit en général D’une personne fortement et uniquement occupée de quelque objet.
Perdre, signifie quelquefois, Égarer une chose. J’avais perdu mon mouchoir, je l’ai retrouvé. J’ai perdu mon chapeau, aidez-moi à le chercher. Voilà des gants que je viens de trouver, qui est-ce qui les a perdus ? Il a perdu son chien, son perroquet.
Perdre quelqu’un, Le laisser s’égarer, ou L’égarer, le détourner de sa route. Cette bonne a perdu à la promenade un des enfants qui lui étaient confiés. Ce postillon nous a perdus.
Perdre, signifie aussi, Cesser d’avoir, n’avoir plus. Les arbres ont perdu leurs feuilles. Cette pierre a perdu de sa dureté. La cuisson fait perdre à ces fruits leur âpreté. Cette étoffe a perdu sa couleur, a perdu son lustre, a perdu de son lustre. Ses yeux ont perdu leur éclat, ont perdu de leur éclat. Cette action perd son prix, perd beaucoup de son prix. Perdre l’aplomb, l’équilibre. J’ai perdu l’envie d’aller là. J’en ai perdu l’espérance. Perdre l’usage, l’habitude. Perdre le souvenir d’une chose. Je ne me souviens plus de cela, j’en ai perdu l’idée. J’ai perdu la bonne opinion que j’avais de lui. Perdre l’estime, l’amitié qu’on avait pour quelqu’un. Vous perdez le respect. Il y a de quoi perdre contenance.
Cette rivière perd son nom dans telle autre, p. 390Cette rivière, en tombant dans telle autre, prend le nom de celle-ci.
Perdre, signifie aussi, Cesser de suivre ou d’occuper, laisser échapper ou laisser prendre. Perdre son chemin. Il s’arrêta pendant que le cortége marchait, et il perdit son rang. Le cocher s’est laissé couper, et il a perdu la file. Les chiens ont perdu la piste, la trace, la voie, les voies de la bête.
Fig., Perdre la trace, les voies, le train d’une affaire, N’être plus au courant d’une affaire, ne savoir plus où elle en est.
Fig., Perdre du terrain, Reculer dans une affaire, au lieu d’avancer.
Perdre un objet de vue, Cesser de le voir, ne le voir plus. Ne perdez pas cet enfant de vue. Le vaisseau s’éloigna, et nous le perdîmes de vue en un moment.
Fig., Perdre de vue une affaire, un dessein, Cesser de le suivre, de s’en occuper. Perdre quelqu’un de vue, Être longtemps sans en entendre parler.
Fig., On ne peut le suivre, on le perd de vue, se dit D’un homme qui se jette dans des discours trop élevés.
Fig., Cette mère ne perd point sa fille de vue, Elle la surveille soigneusement.
Perdre le fil d’un discours, Ne pouvoir plus suivre le discours qu’on avait commencé, ne pouvoir plus se ressouvenir de ce qu’on avait à dire. Je ne sais plus où j’en étais, vous m’avez fait perdre le fil de mon discours. On le dit aussi en parlant Du discours d’un autre. Cet orateur débite avec tant de rapidité, que l’on perd souvent le fil de son discours.
Perdre pied, perdre terre, Ne plus trouver le fond de l’eau avec les pieds. Il s’emploie aussi figurément, et signifie, Ne savoir plus où l’on en est.
Perdre terre, se dit aussi D’un bâtiment qui s’éloigne assez de terre pour la perdre de vue.
En termes de Marine, sur la Méditerranée, Perdre la tramontane, Ne plus voir l’étoile polaire, à cause des nuages qui couvrent le ciel ; ne pouvoir plus s’aider de la boussole, à cause de l’agitation du vaisseau.
Fig. et fam., Perdre la tramontane, Être troublé, ne savoir plus où l’on en est, ne savoir plus ce qu’on fait ni ce qu’on dit.
Fig. et fam., Perdre la carte, Se troubler, se brouiller, se confondre dans ses idées.
Perdre, signifie aussi, Faire un mauvais emploi, un emploi inutile de quelque chose, manquer à en profiter. Perdre le temps. Perdre son temps. Perdre sa peine, ses soins, ses pas. Il a perdu sa jeunesse au service de tel prince. Perdre l’occasion. J’ai perdu ma journée. Il m’a fait perdre toute la matinée.
Prov. et fig., À laver la tête d’un âne, d’un More, on perd sa lessive, On perd les peines qu’on prend pour instruire une personne stupide, indocile, obstinée, ou pour lui faire entendre raison.
Prov. et fig., Vous y perdez vos pas, Vous ne réussirez pas à ce que vous entreprenez.
Prov. et fig., Perdre son latin, Employer, sans succès, son savoir et sa peine. Il a voulu le persuader, il y a perdu son latin.
Perdre, signifie encore, Être vaincu en quelque chose par un autre, avoir du désavantage contre quelqu’un en quelque chose. Perdre une gageure, un pari, un dédit. Perdre la partie. Qui quitte la partie, la perd. Perdre partie, revanche et le tout. Perdre une bataille. Perdre la bataille. Il a perdu son procès. Perdre son avantage, sa supériorité.
Prov., Il joue à tout perdre, se dit De celui qui expose tout d’un coup au hasard tout ce qu’il a, ou les plus grands intérêts dont il soit chargé.
Perdre, s’emploie quelquefois absolument, et signifie, Ne pas obtenir le gain, le profit, l’avantage qu’on désirait ou qu’on espérait. Vous n’avez pas perdu au change. Il faut savoir perdre pour gagner. J’ai perdu à beau jeu. Je ne perds ni ne gagne rien à ce changement.
Jouer à qui perd gagne, Jouer à un jeu où l’on convient que celui qui perdra selon les lois ordinaires, gagnera la partie. Il se dit, figurément et familièrement, Lorsqu’un désavantage apparent procure un avantage réel.
Ce marchand perd sur sa marchandise, Il la vend moins cher qu’il ne l’a achetée. Il perd dans son commerce, Il y souffre du dommage, du préjudice. On dit de même, Perdre tant sur une marchandise, sur un marché.
Perdre, signifie aussi, Diminuer de valeur. Son papier perd tant pour cent. Cette espèce d’effets perd sur la place. Cette marchandise, cette denrée perd dans le commerce.
Cet homme, cet ouvrage a beaucoup perdu, On en fait beaucoup moins de cas qu’auparavant. Sa réputation perd chaque jour, De jour en jour on diminue de l’estime qu’on faisait de lui.
Perdre, signifie figurément, Ruiner, déshonorer, décréditer ; causer du préjudice à la fortune de quelqu’un, à sa réputation, à sa santé, etc. C’est un homme qui vous perdra. Il a perdu tous ceux qui se sont opposés à ses desseins. Ses ennemis l’ont perdu dans l’esprit du prince. Cette parole imprudente le perdit. La fréquentation de cette maison l’a perdu de réputation. Ses folles dépenses l’ont perdu. Ses débauches le perdront.
Il signifie aussi, Gâter l’esprit, le jugement ; Corrompre les mœurs, débaucher. Il a perdu par ses maximes une infinité de jeunes gens. Vous le perdez par vos flatteries. Elle était sage, mais les mauvaises compagnies l’ont perdue.
Il signifie encore, Gâter, endommager quelque chose. La nielle a perdu les blés. La rivière s’est débordée, et a perdu toute la campagne. La pluie a perdu la robe de cette femme.
Un moment, une indiscrétion peut tout perdre, Il suffit d’un moment, d’une indiscrétion pour compromettre le sort de l’entreprise, pour la faire manquer.
Perdre, s’emploie avec le pronom personnel en plusieurs significations différentes.
Il signifie, Faire naufrage. Ce bâtiment s’est perdu sur une côte, contre un rocher. Ils se sont perdus au delà de la ligne. Ils se sont perdus corps et biens.
Il signifie aussi, Disparaître. Il se perdit dans la foule, et je ne pus le retrouver. Un ballon qui se perd dans les nues.
Il s’emploie absolument, en termes de Billard, et signifie, Mettre sa propre bille dans la blouse, ou la faire sauter hors du billard.
Fig. et fam., Se perdre dans les nues, dans les nuages, Rendre avec emphase des idées vagues, obscures, inintelligibles.
Fig., Se perdre dans des digressions, Se livrer à des digressions qui font oublier le sujet principal.
L’odeur de cette liqueur, de cette essence s’est perdue, Elle s’est dissipée, elle s’est évaporée.
Ces couleurs, ces nuances se perdent l’une dans l’autre, Insensiblement elles viennent à être tellement mêlées, qu’on n’en voit plus la différence.
Cette rivière se perd dans la terre, sous terre à tel endroit, Elle s’enfonce en terre, elle disparaît à tel endroit. Cette rivière se perd, va se perdre dans telle autre, dans un lac, etc., Elle se jette, elle tombe dans telle autre, dans un lac, etc. On dit à peu près de même, Ce fleuve, cette rivière se perd dans les sables.
Le chemin se perd en tel endroit, Il cesse d’être frayé dans tel endroit.
Cet usage se perd de jour en jour, De jour en jour on cesse de le suivre, on y renonce. On dit dans le même sens, Ce mot s’est perdu, cette acception du mot s’est perdue.
Perdre, avec le pronom, signifie aussi, S’égarer, se fourvoyer, ne plus retrouver son chemin. Nous nous perdîmes dans le bois. On dit neutralement, Mener perdre.
Fig., Je m’y perds, on s’y perd, l’esprit s’y perd, se dit en parlant D’une chose où l’on a peine à rien concevoir.
Perdre, avec le pronom, signifie encore, Se ruiner. Il se perd par ses dépenses excessives.
Il s’emploie figurément, et signifie, Se compromettre gravement, ou Se déshonorer, se faire tort dans l’opinion des autres. Malheureux, qu’allez-vous faire ? vous vous perdez. Vous vous perdrez d’honneur et de réputation. Il s’est perdu en voyant mauvaise compagnie.
Prov., Il joue à se perdre, se dit D’un homme qui s’expose à ruiner sa fortune ou sa réputation.
Se perdre à crédit, à plaisir, de gaieté de cœur, Faire tort à sa fortune, ou à sa santé, ou à sa réputation, par étourderie et faute de suivre les plus simples conseils de la raison.
Perdu, ue. participe.
Puits perdu, Puits dont le fond est de sable, et où les eaux se perdent. Les puisards sont des espèces de puits perdus.
Pays perdu, Pays écarté, désert, qui n’offre point de ressources.
Tout est perdu, Il n’y a plus de ressource, plus d’espérance.
Prov., Ce qui est différé n’est pas perdu.
Prov., Un bienfait n’est jamais perdu, Une bonne action a sa récompense tôt ou tard.
Prov., C’est du bien perdu, se dit De tout ce qui survient d’agréable ou d’utile pour une personne qui ne sait pas ou qui ne peut pas en profiter. Lire de beaux vers p. 391devant des gens qui n’ont ni goût ni oreille, c’est du bien perdu.
C’est temps perdu, c’est peine perdue, se dit en parlant Des choses pour lesquelles on emploie inutilement du temps ou de la peine, soit parce qu’elles ne le méritent pas, soit parce qu’elles ne doivent point réussir.
Tirer à coup perdu, à coups perdus, Tirer au hasard, ou tirer hors de portée.
Fig., en Maçonnerie, Ouvrage à pierres perdues, à pierre perdue, Construction qu’on établit dans l’eau en y jetant de gros quartiers de pierre. Les fondations de cette digue, de ce môle, ont été faites à pierres perdues.
Fig., Faire flotter du bois à bois perdu, à bûche perdue, Le jeter dans de petites rivières non navigables, pour le rassembler à leur embouchure dans de plus grandes rivières, et en former des trains.
Fig., Voyager à ballon perdu, S’élever dans l’air au moyen d’un aérostat qui n’est retenu à la terre par aucun lien.
Fam., À corps perdu, Avec impétuosité, sans songer à se ménager. Se jeter à corps perdu sur quelqu’un. Se jeter à corps perdu dans la mêlée. On l’emploie quelquefois au sens moral. Il se jette à corps perdu dans les entreprises les plus hasardeuses.
Mettre de l’argent à fonds perdus, à fonds perdu, Placer son argent en viager, c’est-à-dire, à condition d’en recevoir sa vie durant un intérêt convenu, en abandonnant le capital.
Fig., Salle des pas perdus, Grande salle qui précède ordinairement la chambre des audiences d’un tribunal, et où le public se promène.
Fig., Reprise perdue, Reprise faite de manière qu’on ne l’aperçoive pas, et qu’elle se confonde avec le tissu de l’étoffe.
Heures perdues, moments perdus, Les heures, les moments de loisir d’une personne qui est ordinairement fort occupée. On ne l’emploie guère que dans ces manières de parler adverbiales : À vos heures perdues ; dans vos heures perdues, etc. Je vous irai voir à vos heures perdues, à quelqu’une de vos heures perdues, dans un de vos moments perdus.
Fig., en termes de Guerre, Sentinelle perdue, Sentinelle postée dans un lieu extrêmement avancé. Enfants perdus, Ceux que l’on charge des expéditions, des missions les plus périlleuses. Commander les enfants perdus. Il combattit à la tête des enfants perdus. Il se dit, par extension, de Ceux que l’on pousse à faire les premières et les plus périlleuses démarches dans une affaire de parti, ou qui s’y aventurent d’eux-mêmes. C’est l’enfant perdu du parti. Il s’est avancé dans cette affaire en enfant perdu.
Être perdu d’honneur, de réputation, perdu de débauches, perdu de dettes, etc., Avoir perdu l’honneur, la réputation ; avoir ruiné sa santé par ses débauches, être accablé de dettes.
C’est un homme perdu, une femme perdue, se dit D’un homme, d’une femme sans ressources pour la santé, pour la fortune, pour la réputation, etc.
Fig., C’est une tête perdue, se dit D’une personne qui montre de l’égarement dans sa conduite, dans ses discours.
Prov., Pour un perdu, deux retrouvés, deux recouvrés, se dit en parlant Des choses dont on veut faire entendre que la perte est facile à réparer.
Prov., Courir comme un perdu, crier comme un perdu, Courir, crier de toute sa force. Dans ces phrases, Perdu est employé substantivement.
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