ne

5e édition

NE.

■  Particule qui rend une proposition négative, et qui précède toujours le verbe. On l’accompagne souvent de Pas ou Point. Mais quelle est la place que Pas ou Point doit occuper dans le discours ? Quand l’un est-il préférable à l’autre ? Quand peut-on les supprimer l’un et l’autre ? Quand le doit-on ? Quatre questions où il faut entrer.
Première question. Où Pas et Point doivent-ils être placés ? On peut indifféremment les mettre devant ou après le verbe, s’il est à l’infinitif. Pour ne point souffrir, pour ne souffrir pas. Mais dans les temps simples du verbe, ils doivent toujours suivre le verbe. Il ne souffre point. Il ne chante pas. Au contraire, dans les temps composés, ils se mettent entre l’auxiliaire et le participe. Il n’a point souffert. Il n’a pas chanté.
Touchant la seconde question, il faut observer que Point nie plus fortement que Pas ; en voici la preuve. On dira également, Il n’a pas d’esprit, il n’a point d’esprit ; et on pourra dire, Il n’a pas d’esprit ce qu’il en faudroit pour une telle place ; mais quand on dit, Il n’a point d’esprit, on ne peut rien ajouter.
Point, suivi de la particule de, tranche donc absolument, et forme une négation parfaite ; au lieu que Pas laisse la liberté de restreindre ou de réserver.
Par cette raison, Pas vaut mieux que Point, devant Plus, moins, si, autant, et autres termes comparatifs. Cicéron n’est pas moins véhément que Démosthène. Démosthène n’est pas si abondant que Cicéron.
Par la même raison, Pas est préférable devant les noms de nombre. Pas un seul petit morceau. Il n’y a pas dix ans. Vous n’en trouverez pas deux de votre avis.
Par la même raison encore, Pas convient mieux à quelque chose de passager et d’accidentel ; Point à quelque chose de permanent et d’habituel. Il ne lit pas, c’est-à-dire, Présentement. Il ne lit point, c’est-à-dire, Jamais, dans aucun temps.
Point se met pour Non, et jamais Pas, soit pour terminer une phrase elliptique, Je le croyois mon ami, mais point ; soit pour répondre à une interrogation, Lirez-vous ces vers ? Point.
Quand Pas ou Point entre dans l’interrogation, c’est avec des sens un peu différens : car si ma question est accompagnée de quelque doute, je dirai, N’avez-vous point été là ? N’est-ce point vous qui me trahissez ? mais si j’en suis persuadé, je dirai par manière de reproche, N’avez-vous pas été là ? N’est-ce pas vous qui me trahissez ?
Troisième question. Quand peut-on également supprimer Pas et Point ?
On le peut après les verbes Cesser, oser et pouvoir. Par exemple : Il n’a cessé de gronder. On n’ose l’aborder. Je ne puis me taire. On peut aussi dire, Ne bougez, mais dans la conversation seulement.
On peut encore les supprimer avec élégance dans ces sortes d’interrogations : Y a-t-il un homme dont elle ne médise ? Avez-vous un ami qui ne soit des miens ?
Quatrième et dern. question. Quand doit-on supprimer l’un et l’autre ?
Après les verbes Douter et nier, précédés d’une négative et suivis de la conjonction que, la phrase amenée par cette conjonction demande qu’on répète ne, mais tout seul. Je ne doute pas, je ne nie pas que cela ne soit.
Après Prendre garde, quand il signifie Prendre ses mesures, on met le subjonctif, et l’on supprime Pas et Point ; et au contraire quand il signifie Faire réflexion, il faut mettre l’indicatif, et ajouter Pas ou Point. Prenez garde qu’on ne vous séduise. Prenez garde que l’Auteur ne dit pas ce que vous pensez.
Après Savoir, pris dans le sens de Pouvoir, on doit toujours les supprimer. Je ne saurois en venir à bout. Après ce même verbe précédé de la négation, et signifiant Être incertain, le mieux est de les supprimer. Je ne sais où le prendre. Je ne saurai que devenir. Il ne sait ce qu’il veut. Il ne sait ce qu’il dit. Mais il faut Pas ou Point, quand Savoir est pris dans son vrai sens. Je ne sais pas l’Anglois. Je ne savois point ce que vous racontez.
On supprime Pas et Point, quand l’étendue qu’on veut donner à la négative est suffisamment déclarée par d’autres termes qui la restreignent : Je ne soupe guère ; je ne sortirai de trois jours ; ou par des termes qui excluent toute restriction : Je ne soupe jamais ; je ne vis personne hier ; je ne dois rien ; je n’ai nul souci ; ou enfin par des termes qui signifient les moindres parties d’un tout, et qui se mettent sans article : Homère ne voyoit goutte. Je n’en ai recueilli brin. Je ne dis mot.
Après toutes ces phrases, si la conjonction que, ou les relatifs qui et dont amènent une autre phrase qui soit négative, on y supprime Pas et Point. Je ne soupe guère, je ne soupe jamais que je ne m’en trouve mal. Je ne vois personne qui ne vous loue. Vous ne dites mot qui ne soit applaudi.
Si l’expression numérale est jointe à Mot, il faut employer Pas. Il ne dit pas un mot qui ne soit à propos. Il n’y a pas trois mots à reprendre dans sa harangue.
Il faut encore employer Pas avant la conjonction De. Je ne fais pas de doute que… Il ne fait pas de démarche inutile.
On supprime Pas et Point après la conjonction que, mise à la suite d’un terme comparatif, ou de quelque équivalent. Vous écrivez mieux que vous ne parlez. C’est autre chose que je ne croyois. Peu s’en faut qu’on ne m’ait trompé. Il est moins riche, plus riche qu’on ne croit.
On les supprime, lorsqu’avant la conjonction que on doit sous-entendre rien, comme dans ces phrases, Il ne fait que rire ; je ne demande que le nécessaire.
On les supprime, quand la conjonction que peut se résoudre par sinon, si ce n’est, comme dans ces phrases, Il ne tient qu’à vous ; trop de lecture ne sert qu’à embrouiller l’esprit.
On les supprime, quand cette particule que signifie pourquoi au commencement d’une phrase : Que n’êtes-vous arrivé plutôt ? ou quand elle sert à exprimer un désir, à former une imprécation : Que ne m’est-il permis ?… Que n’est-il à cent lieues de nous ?
Après depuis que, ou il y a, suivi d’un mot qui signifie une certaine quantité de temps, on les supprime quand le verbe est au prétérit. Depuis que je ne l’ai vu. Il y a six mois que je ne lui ai parlé. Mais il faut l’un ou l’autre, si le verbe est au présent. Depuis que nous ne nous voyons pas. Il y a six mois que nous ne nous parlons point.
Après les conjonctions à moins que, et si, dans le sens d’à moins que, on les supprime. Je ne sors pas, à moins qu’il ne fasse beau. Je ne sortirai point, si vous ne me venez prendre en carrosse.
On les supprime, quand deux négations sont jointes par ni, comme, Je ne l’estime ni ne l’aime ; et quand cette conjonction ni est redoublée, ou dans le sujet, Ni les biens ni les honneurs ne valent la santé, ou dans l’attribut, Il est avantageux de n’être ni pauvre ni riche ; heureux qui n’a ni dettes ni procès.
Après le verbe Craindre, suivi de la conjonction que, on supprime Pas et Point, lorsqu’il s’agit d’un effet qu’on ne désire pas. Je crains que vous ne perdiez votre procès. Au contraire, il faut Pas ou Point, lorsqu’il s’agit d’un effet qu’on désire. Je crains que ce fripon ne soit pas puni. Et la même chose est à observer après ces manières de parler, De crainte que, de peur que. Ainsi lorsqu’on dit, De crainte qu’il ne perde son procès, c’est souhaiter qu’il le gagne ; et, de crainte qu’il ne soit pas puni, c’est souhaiter qu’il le soit.
Après les verbes Nier, disconvenir, on peut également supprimer le ne, ou l’employer. Je ne nie pas, je ne disconviens pas que cela ne soit, que cela soit.
Dans ces phrases, Je crains que mon p. 152ami ne meure ; vous empêchez qu’on ne chante, et autres semblables, ce mot ne n’est point une négative ; c’est le NE ou le QUIN des Latins qui a passé dans notre langue.
On dit quelquefois dans le style familier, N’étoit, pour, si ce n’étoit. Cet ouvrage seroit fort bon, n’étoit la négligence du style.
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